Je me suis réveillée le 1e septembre dernier avec le sentiment étrange que rien ne serait plus comme avant. Mon ainée, celle qui m’a initiée aux joies de la maternité, celle avec qui j'avais appris à être maman fêtait ce jour-là son 18e anniversaire et commençait sa nouvelle vie d’étudiante.
J’ai fermé les yeux un court instant, fouillé ma mémoire à la recherche de souvenirs emberlificotés et je me suis remémoré notre première rencontre!! Par une chaude après-midi de septembre qui sentait bon l'été indien, elle est arrivée dans nos vies, comme une fleur de lotus émerge de l'eau ! Après tant de mois de questionnements sans fin, me voilà alors trouvant toutes mes réponses dans son premier regard! Et nous avons cheminé ensemble depuis, moi tentant d'être une mère tout simplement, et elle nous comblant de bonheur.
Elle possède toutes les qualités d'une grande humaniste doublée de juste ce qu'il faut de féministe !!! Nous lui avions donné les prénoms de nos chères mamans que nous admirions tant !! Chez nous l'adage veut que l’on hérite sept traits de caractère forts de son homonyme !! Elle venait donc d’hériter de deux femmes battantes, fortes et généreuses, qui chacune à sa manière avait laissé une empreinte indélébile dans sa communauté.
Puis, soudainement, j’ai réalisé qu’elle prenait son envol. Je me suis alors demandée si ma fille était bien préparée à la rude vie qui l’attendait là où son destin la porterait. Avant elle, j’avais eu cette obsession de partir ailleurs, loin des parents. Je me suis revue à sa place, bien des années plus tôt, et j’ai surtout voulu savoir les cinq conseils les plus précieux que j'aurai aimé recevoir quand j’avais son âge !! Et puis en y réfléchissant encore plus et en connaissant le goût de nos enfants pour nos histoires racontées à table, je me suis dit qu'une série de cinq petites histoires devrait sûrement lui plaire.
Ces histoires sont toutes réelles et certaines n’ont jamais été racontées. A la façon des Case Study de Harvard, je vais partager mes conseils au travers de quelques tranches de vie qui m’ont appris beaucoup de choses d’abord sur moi-même. Les choses n’arrivent jamais sans raison. Seulement sur le moment, il est difficile de comprendre la connexion qui existe entre des événements qui semblent complètement isolés. Avec l’âge viennent la maturité et la sagesse ; quand on y repense a posteriori on voit parfaitement le fil d’ariane : tout se tient.
#1 Celle qui pourchassait ses rêves
En terminale, je n’avais qu’un seul rêve : “Partir, le plus loin possible de la maison, par-delà les océans”. Les épopées de Aboubakri II1 n’y étaient surement pas étrangers. Et je n’étais pas la seule, avec certaines de mes camarades de classes, nous passions des nuits entières à décortiquer les dossiers de préinscription des grandes universités françaises. Avec une copine de terminale C2, nous avions envisagé toutes les possibilités et nous avions arrêté deux options: une classe préparatoire à Paris ou bien une université dans une petite ville calme. Nous avons fini par jeter notre dévolu sur Grenoble, dans les Alpes, une ville universitaire entourée par les montagnes.
J’avais passé mon après-BAC à m’occuper de mes formalités pendant que la plupart de mes amies profitait de leur liberté après 7 ans d’internat . Mon père m’avait dit : “ Je veux bien t’envoyer étudier à l’étranger mais il y a trois conditions. Primo : Tu dois trouver une inscription en France. Deuxio : Tu devras trouver un établissement public. Tertio : Tu t’occuperas de toutes les formalités toi-même, si tu veux aller à l’étranger, tu dois être autonome “. Je me suis donc jetée à corps perdu dans ce nouveau défi. Je n’ai finalement obtenu mon visa qu’à la mi-octobre, les cours avaient commencé depuis début septembre. Vu le retard que j’avais accumulé, ma classe préparatoire aux grandes écoles avait annulé mon admission. Il ne me restait que l’option « Université » à Grenoble.
J’avais un autre rêve : “ Être ingénieur en électronique”. Après les rêves de médecin pour sauver l’humanité, celui éphémère d’être femme pilote pour suivre les traces de Papa, Chef de cabine chez Air Afrique, j’avais fini par aimer l’électronique. L’ami de la famille qui me donnait des cours en maths et physique le week-end était ingénieur en électronique. Il m’avait passé le virus sans que je sache réellement d’ailleurs ce à quoi je devais m’attendre. Ma seule certitude, il y avait deux voies pour atteindre cet objectif: la voie royale, la prépa puis les concours aux grandes écoles d’ingénieurs ou l’alternative des admissions sur titres pour lesquels il y avait beaucoup d’appelés et peu d’élus. C’était la voie la moins évidente mais je n’avais plus que cette option.
Je me suis finalement envolée pour la France toute seule, mon amie ayant désisté et je suis arrivée dans ma nouvelle ville d’adoption, par une froide matinée d’octobre, sans y avoir une seule connaissance. Bien que mon arrivée ait été des plus rocambolesques (une idée de roman à coup sûr) j’ai pu m’inscrire à l’Université Joseph Fourier en DEUG3 Technologies Industrielles, une toute nouvelle filière qui démarrait cette année-là . Au 2e jour, me voilà chez le directeur des études pour un entretien. Un monsieur sévère qui me regarda avec dédain de haut en bas et qui m’annonça de but en blanc qu’il me fallait changer de filière. Son DEUG était extrêmement sélectif, il n’y accueillait que la crème et ne voulait en aucun cas avoir de mauvaises statistiques dès la première année. Pendant qu’il parlait, je vivais un trouble intérieur indescriptible !! Je n’avais qu’une envie me sauver en grandes enjambées. Mais je suis restée stoïque, en l’écoutant sans l’entendre. Subitement, je me suis débarrassée de toutes mes années d’éducation en bonnes manières et de mes centaines d’années de culture africaine qui ne voulait pas qu’on contredise les ainés. Je lui ai coupé la parole et je lui ai rétorqué qu’il devait se tromper de personne. Il m’a d’abord regardé abasourdi puis a jeté un œil sur mon dossier en articulant lentement et maladroitement “vous n’êtes pas Kadi N Ndiayé? “ Je lui ai répondu “Si, mais vous ne devez pas lire le bon dossier. Je viens d’une des meilleures écoles de mon pays et j’étais la première de ma classe en terminale C. Je suis une excellente élève avec un excellent dossier ce qui m’a valu une sélection directe pour rejoindre ce DEUG”. J’avais débité tout ça d’un coup, avec la fermeté qu’il fallait, en le regardant droit dans les yeux, sans clicher des paupières une seule fois. Moi-même à cet instant là, je me demandais qui était cette effrontée qui parlait !! Je n’en revenais pas. 2h d’entretien et je tenais toujours bon. Il m’a sorti toutes sortes d’arguments et à chaque fois, de mon côté, la même rengaine. Je connaissais maintenant la partition par cœur. Cet énergumène était en train de vouloir se mettre entre moi et mon rêve. Dans ma tête, j’étais en train de sourire. Ce monsieur ne connaissait absolument rien de ma détermination. Si j’étais devant lui, c’est que je venais de surmonter mille obstacles, et il était bien loin de pouvoir me faire changer d’avis. Il a dû finir par comprendre qu’il n’avait aucun moyen de me convaincre. Le compromis que nous avions finalement trouvé : j’avais jusqu’aux premiers examens partiels de janvier pour faire mes preuves. Si je n’y arrivais pas, je serais exclue de la formation après le premier semestre. J’ai accepté ce compromis car je n’avais aucun moyen de faire autrement, mais dans ma tête, il n’était nullement question de renoncer. Je devais aller au bout.
J’ai rencontré deux compatriotes quelques semaines plus tard, ils avaient dû affronter le même monstre avant moi mais ils avaient été moins persévérants, et avaient jeté l’éponge. Et ils m’ont dit qu’ils n’étaient pas les seuls. Tous les africains arrivés cette année-là pour s’inscrire dans ce nouveau DEUG ont dû abandonner à la suite du premier entretien. Je me suis mise au travail de façon acharnée, tel que j’avais appris à le faire dans mon internat de jeunes filles. En faisant abstraction de tout. En janvier j’avais assez de bonnes notes pour qu’il n’y trouve rien à redire. En juin je réussissais haut la main mes examens avec une mention. En août j’étais de retour au Sénégal pour les grandes vacances.
Je n’avais eu aucune autre grille de lecture au moment où se jouait cette partition, j’étais trop naïve, et avec mes yeux de jeune sénégalaise fraichement débarquée, je n’avais pas assez de recul pour y voir autre chose que de la bizarrerie. Quelques années après, j’ai enfin pu y mettre un mot: Racisme. C’était le premier cas d’une très longue série. J’ai été sauvée cette fois-là par rien moins que ma détermination à aller au bout.
Mon conseil de maman : Ne jamais laisser personne choisir pour toi. Le racisme il faut y faire face et tel un boomerang le renvoyer à la face de l’envoyeur de la plus belle des manières. En tant que femme noire tu devras faire tes preuves plus que les autres mais en quelque sorte c’est la clé de ta réussite.
#2 Celle qui s’appelait Dominique
En dernière année d’école, il m'est arrivé beaucoup de belles choses. Je venais de me marier et j’allais être diplômée de mon école d'ingénieurs. Même si rien n’avait été facile, j'avais réussi à y arriver en contournant les obstacles sur mon chemin, vaille que vaille. Ce diplôme j'étais allée le chercher dans mes tripes. Dans ma tête la messe était dite, la SSII4 qui m'avait prise en stage m'avait promis une embauche : tout était bien qui finît bien. Mon stage devant se terminer un mois après, et au vu de mes belles performances, je suis allée voir fièrement mon manager dans son bureau pour lui rappeler sa promesse armée de mon plus beau et fier sourire. A la tête qu'il a faite quand j'ai commencé à parler, je me suis dit qu'il y avait une entourloupe dans l'histoire. Je n'avais aucun plan B, j'avais cru naïvement à toutes ses promesses sans me poser de questions ni demander de garantie. J'ai appris qu'en entreprise, seuls les documents écrits font foi. Apparemment ma nationalité étrangère avait compliqué mon cas. La procédure pour passer du statut étudiant à celui de travailleur5 étant pénible, longue et onéreuse, ils avaient préféré y renoncer sans daigner m’en informer. Il y avait peut-être aussi un motif moins avouable 6mais je ne le saurais jamais. Voilà, je me retrouvais d'un coup à devoir trouver une alternative en urgence car ma carte d’étudiant devait expirer quelques mois plus tard. Aucun plan B, pour la première fois de ma jeune vie, je me suis retrouvée devant un obstacle bien plus coriace que je ne l'avais imaginé, mon Himalaya!! Je me rappelle avoir repensé au stage dans une grande banque que j'avais délaissé pour celui-ci, pour le confort d'être à dix minutes du travail au lieu d’une heure trente, en région parisienne. Le jeu n'en valait certes pas la chandelle, finalement. Les grands groupes eux savaient gérer ce genre de cas de changement de situation !! Mauvais choix stratégique de ma part.
Dans mon malheur, j’ai quand même eu une lueur d’espoir, je pouvais profiter du regroupement familial grâce à mon mariage récent pour avoir une carte de résident. Il fallait certes presque une année d’attente, mais encore une fois c’était ma seule option. En attendant de décrocher le graal, je ne pouvais faire que des stages et des petits boulots.
J'ai finalement trouvé un poste dans une société de télémarketing !!! Je n'en avais jamais fait. Je me suis présentée à l’entretien et ma diction m'en a parait-il ouvert les portes. J'étais sur les horaires du soir, 17h-20h, le pire créneau, celui des bleus. Ma première mission fut de vendre l’abonnement annuel du journal "Chasse et Pêche" à de vieux chasseurs du terroir à l’accent à couper au couteau. Ma question, les premiers jours, était de savoir si je parlais bien à des Français !! Au bout d'une semaine, je n'en pouvais plus et je voulais déjà abandonner. J'étais bien loin d'avoir atteint mes objectifs de vente ! Puis j'ai été inspirée de prendre avec moi un des exemplaires du fameux journal pour le lire durant le trajet d’une heure trente qui me ramenait chez moi en bus. J’ai cru revenir deux siècles en arrière !!! Je n’avais connu que la France urbaine, j’étais très loin de m’imaginer ce qu’était la France des chasseurs. J'ai finalement cerné le type de personnes à qui je m’adressais tous les soirs. Je devais avoir un accent moins parisien et surtout adapter mon vocabulaire. Cela ne devait être rien d'autre qu'un jeu de rôle !! D'ailleurs sur le plateau nous nous appelions toutes et tous "Dominique", le nom de code pour les télévendeurs de “Chasse et pêche”. Chaque vente avait son nom de code.
Après « Chasse et pêche », je suis passée au livre écrit par un ponte de l'église. Les vieilles dames étaient pires que les chasseurs dans les verbiages et jacasseries longs sans queue ni tête mais bien plus faciles à convaincre. Finalement, je suis arrivée au B2B, en vendant des encyclopédies médicales à des médecins en cabinet sur la tranche horaire 9h-12h, le meilleur créneau. J’avais fait bien du chemin en quelques semaines. Je sus que j'étais parfaitement à l’aise dans le rôle quand deux médecins, le même jour ont décelé pour l'un un léger accent qu'il n’arrivait pas à situer mais qu’il pensait asiatique (j'ai laissé planer le doute); l'autre un accent du nord de l’Europe que j'ai tout de suite confirmé en lui disant que ma mère était suédoise!! Je me rappelle la tête du superviseur qui écoutait notre conversation complètement par hasard ce jour-là qui me fait venir dans son bureau pour me dire qu’il fallait éviter de donner des détails personnels aux clients. Lui qui devait surtout s’attendre à voir au moins une métisse d’après la conversation qu’il venait d’entendre, était complètement ahurie de me voir. Il n’a pas osé demander mais a dû penser que j’etais surement adoptée. Après avoir bien fait mes armes, Je me suis finalement retrouvée dans un autre centre pour gérer le service client d’Orange France. C’était bien plus facile mais il m’avait fallu passer par le bizutage de “Chasse et pêche” !!
Après quelques mois, toujours en attente de ma carte de résident, j'ai fait un entretien très intéressant: après la première entrevue mon CV est simplement devenu K.Kama. Mon Ndiaye avait disparu, le Khady aussi. Le manager qui m’a reçu avait très vite perçu que je trainais un gros handicap en terre parisienne: mon nom de famille (hommage à mon père qui doit surement se retourner dans sa tombe). Il était synonyme de banlieue, d’immigration, surtout de négritude. Une connotation très négative dans le monde du travail français. Bye bye Dominique bienvenue K.Kama. Les RH ne savaient plus du tout si j'étais un homme ou une femme et surtout ne pouvait plus situer mes origines. Ce petit subterfuge à la Leuk le lièvre7 venait d'anonymiser mon CV et de le rendre intéressant d'un trait. Il m’ouvrait la porte à des centaines d’opportunités professionnelles. Je me suis beaucoup amusé chaque fois que je me suis retrouvée en entretien avec “Monsieur Kama, Monsieur Kama” alors que j’étais la seule assise en salle d’attente. Je revois encore leurs têtes quand je m’avançais fièrement en disant “ C’est Mme Kama, bonjour”. En même temps que ma carte de résident, je décrochais une super mission chez Nortel Networks, en ce temps, le fleuron de l'industrie Télécoms. Sans même en avoir conscience j'allais aider à déployer la 3G qui a révolutionné l’internet mobile. Le chemin avait été semé d'embûches mais à chaque fois, même dans les situations les plus désespérées, j'avais trouvé la Dominique en moi, celle qui sait s'adapter.
Mon conseil de maman: Il faut toujours avoir un plan B, la vie est rarement un long fleuve tranquille. Savoir s’adapter en toutes circonstances, s’adapter n’est pas se renier ; c’est simplement faire preuve d’intelligence et de maturité.
#3 Celle qui avait trouvé un mentor
A mon retour du Cameroun, je voulais changer de vie. J’étais encore consultante en SSII, et je passais mon temps à être ballotée de mission en mission au gré des envies de mon employeur et surtout sur des missions qui lui rapportaient beaucoup financièrement alors qu’ils ne m’intéressaient que peu et ne me faisaient pas progresser. J’ai très vite compris qu’en y restant, je n’allais que de frustration en frustration. J’ai donc décidé de trouver un nouveau boulot.
Je suis tombée un soir sur une annonce sur Monster, on y parlait d’USSD8. Après plusieurs heures de recherche, j’ai compris qu’il s’agissait des codes #123#, *123# etc. que j’avais utilisé tout au long de mon séjour au Cameroun. Je faisais bien des Télécoms, mais moi je déployais de la 3G, j’étais bien loin de cet univers qu’on appelait les services à valeur ajoutée. Néanmoins, j’ai envoyé mon CV, sans trop y croire. Quelques semaines plus tard, me voilà en entretien pour le fameux poste de chef de projet international.
J'ai alors rencontré Christelle pour la première fois lors de cet entretien d'embauche chez Cellicium. A la fin de l’entretien nous discutions passionnément du Cameroun d'où je revenais après 1 an d'expatriation ; pour elle c’était sa patrie de cœur. La réflexion que je me suis faite sur le moment était que cette rencontre était tout sauf anodine. Ce que je ne savais pas encore, c'était comment elle allait changer ma vie !!!
Puisqu’elle m’a inspiré confiance à la première minute, je lui avais tout dit de ma situation de jeune maman avec un enfant de 18 mois. Je ne voulais pas passer 70% de mon temps à voyager comme c’était demandé surtout que le statut de pigeon voyageur était déjà pris dans la famille. Elle m’a répondu avec un grand sourire “on va s’arranger”. J’avoue qu’en sortant, pour moi, c'était comme les promesses creuses des politiciens, des paroles simplement en l’air.
Après plusieurs semaines sans réponse, je me suis dit que j’avais raison de penser que ce n’était que de vaines promesses et j’ai repris le cours tranquille de ma vie. Au bout de deux mois, j’ai reçu un coup de fil, m’invitant à un deuxième entretien, je ne savais même plus de quoi il s’agissait, il m’a fallu de longues minutes pour me remettre dans le bain. J’ai compris lors de l’entretien que la petite startup parisienne venait de se faire racheter par un mastodonte suisse et que les embauches avaient été gelées pendant la finalisation du contrat. Après le troisième entretien, j’étais déjà en train de négocier mon nouveau contrat.
Christelle était mon mentor. Elle m’a tout appris des codes de ce nouvel univers. Tout au long des années pendant lesquelles nous avons travaillé ensemble, elle n'a eu de cesse de m'amener à me dépasser en me mettant constamment face à de nouveaux challenges tout en respectant autant que possible mes souhaits, mes envies, ma vie de famille. Le “on va s’arranger” elle l’a appliqué autant que faire se peut. Elle m’a mis sur des projets pour lesquels je n’avais pas besoin de voyager énormément.
Elle était un modèle. Après ma première année, en plus de la prime exceptionnelle qui m’a été versée au vu de mes bons résultats, elle s’est battue avec acharnement pour que j’obtienne une augmentation salariale sans que je ne le demande pour que je sois au même niveau que mes collègues, tous masculins. Du jamais vu.
J'ai plus qu'apprécié notre collaboration car elle était un modèle d'intégrité avec toujours ce petit quelque chose qui arrive à trouver une solution même aux cas les plus désespérés. Nous sommes devenues amies par la suite et je n'aurai qu'un regret : que cette période où nous nous sommes souvent retrouvées autour d'un déjeuner ait été bien trop courte!!
Parce qu'elle m'aura tant marqué et parce qu'elle sera encore longtemps ma source d'inspiration elle restera vivante encore un peu au fond de moi.
Rest in peace Christelle !!!
Mon conseil de maman: Les femmes ne sont pas nos ennemies, elles sont nos sœurs et sont de formidables mentors. Nous devons nous faire confiance et éviter d’écouter ceux qui veulent nous diviser pour continuer à régner sans partage.
#4 Celle qui aime créer ex nihilo
Après plusieurs mois d'arrêt maladie et de congés maternité pour mon deuxième enfant, j'ai finalement repris le travail. J'étais très enthousiaste de revenir dans la vie active. J'adorais mon bébé mais j'avais besoin de m'occuper les méninges pour l'apprécier encore plus en fin de journée. Après le rythme infernal que je m'étais imposée durant mes premiers mois de grossesse et qui m'avait conduit à une prééclampsie, un alitement total et un congé maternité bien avant l'heure, je m'étais promis de lever le pied. Ma gynécologue qui me connaissait et qui avait cerné parfaitement ma propension à me jeter à corps perdu dans les projets m'avait suggéré de reprendre à temps partiel, à 80%. Je ne savais pas encore comment cela allait se matérialiser dans ma petite boîte d'ingénieurs dans laquelle j'avais été la première à partir en congés maternité. Mais je savais une chose, il fallait trouver le comment.
Première journée de reprise, un peu déboussolée par les changements intervenus en mon absence, je finis par faire un point avec mon nouveau manager. J’étais complètement dépitée à la sortie, la seule chose qu’il a su me dire : “il faut que je te trouve quelque chose mais je ne peux pas te redonner un poste à responsabilités, tu comprends, tu seras à temps partiel!”. Après mon petit moment d’incrédulité, durant lequel cette phrase qui semblait anodine a eu du mal à pénétrer mon cerveau pour que j’en comprenne le sens, je lui ai bien retorqué que notre ancienne manager à tous les deux étaient bien à temps partiel, puisqu’elle préparait un MBA en même temps. Apparemment ce n’était pas la même chose, je devais surement perdre des neurones chaque fois que je m’absentais le mercredi pour m’occuper de mes enfants !! Des années plus tard, j’ai souri quand cette même personne m’a avoué lors d’un afterwork, “oh j’ai levé le pied au boulot, la famille avant tout”. Ah oui !! Il venait d’avoir son premier enfant et surtout c'était un homme !! C’est toujours adorable quand c’est l’homme qui fait ce sacrifice; quand c’est une femme c’est perçu comme un manque d’ambition.
Après avoir bien cherché et pour donner suite aux invectives incessantes de notre plus gros partenaire sur la qualité de nos livrables, il a fini par me dire que j’allais être le point focal du partenaire, il fallait juste que je le calme et pour cela, j’avais carte blanche!! Qu’est-ce que je devais faire exactement?? Aucune consigne. Après avoir passé plusieurs nuits à cogiter, j’avais trouvé. Puisqu’il pensait me mettre au placard parce qu’il ne savait plus quoi faire de moi mais que la loi l’obligeait à me garder et à me donner du boulot (merci au droit du travail français), j’allais lui montrer que je savais faire feu de tout bois et créer des choses en partant de rien. Moi, étant jeune, je n’avais pas de lego et mes poupées ornaient la vitrine du buffet dans le salon sans que je sache encore aujourd’hui pourquoi je n’avais pas le droit de jouer avec. Cependant j’avais appris à faire des poupées de chiffons avec pas grand-chose et à m’inventer des vies dans ma tête. Ce fut un de mes plus grands défis professionnels.
En réalité il y avait énormément de choses à faire. Seulement ce n'était pas le genre de choses qui intéressait l’équipe. Tout le monde était focalisé sur la livraison des innombrables projets avec un effectif réduit; la qualité des livrables et les procédures à mettre en place pour y arriver passait complètement au second plan. Alors qu’ils étaient indispensables pour gérer tous les projets du partenaire liés au déploiement du mobile money en Afrique dans plus de dix pays. Nous ne voyions même pas l’importance capitale que cela donnait à nos plateformes et à nos services. Nous avions le nez dans le guidon et n’avions pas pris la hauteur qu’il fallait pour comprendre les enjeux stratégiques qui se jouaient devant nos yeux. Quelques années plus tôt, quand mon mentor avait voulu me confier le plus gros projet de la boite, j’avais été complètement affolée et je lui avais dit ne pas être sûre d’y arriver. Elle m’avait alors dit “ ce client est peut-être très à cheval sur les process et la documentation, mais nous devons apprendre de lui. Je te promets qu’après ce projet tu auras énormément appris même si je te l’avoue tu vas souffrir”. Et elle avait eu complétement raison. Ce projet m’avait complétement formaté. J’allais donc pouvoir mettre en application tout ce que j’avais appris au forceps.
Quelques mois plus tard, nous étions de retour chez le partenaire pour un comité de pilotage. Mon fameux manager a été plus que surpris de constater à quel point j’avais fait évoluer la relation en un laps de temps, et à quel point tout ce que j’avais mis en place correspondait à leurs besoins. J’avais réussi à faire de cette situation catastrophique, rien moins que de nouvelles opportunités de business pour l’entreprise. La qualité qui s’améliore a été un formidable catalyseur pour de nombreux nouveaux projets et pour sécuriser notre position de fournisseur stratégique.
Je me souviens encore d’un employé de cette entreprise arrivé bien après mon départ, qui m’a contacté sur Linkedin et a voulu me rencontrer en chair et en os car il voulait savoir qui se cachait derrière ce nom qu’il voyait partout, et surtout si j’existais vraiment !! Pas mal comme conclusion pour celle qui perdait quelques neurones chaque mercredi.
Mon conseil de maman : Il faut savoir sortir du cadre, “thinking out of the box” “disent les anglophones. Dans un problème on peut toujours trouver une nouvelle opportunité de business. On peut aussi trouver un équilibre entre ses vies familiale et professionnelle, c’est même nécessaire pour sa santé mentale et son épanouissement.
#5 Celle qui est revenue sur ses pas
Je suis de retour au Sénégal depuis 5 ans maintenant. Moi-même encore parfois, je me demande comment j’en suis arrivée là. Si j’avais pris une machine à remonter le temps pour aller annoncer cette nouvelle à la Khady de 2017, je crois qu’elle m’aurait traité de charlatan.
Pourtant j’avais quitté le Sénégal avec le but très précis d’y revenir à la fin de mes études. La France, je ne la voyais que comme une étape nécessaire pour moi, mais seulement une étape. Seulement quelque part, je me suis perdue en cours de route. Je n’avais pas su semer des cailloux blancs9 pour retrouver mon chemin.
Quelques mois avant mon retour, je suis venue au Sénégal pour une mission de quelques jours. J’en ai profité pour revoir une amie que j’avais perdue de vue depuis des années. Nous étions étudiantes à Grenoble ensemble. Elle était revenue au Sénégal après son diplôme, là où j’avais choisi de rester en France. Après de joyeuses retrouvailles, au moment du au revoir, elle m’a posé cette question fatidique “Khady, que tu fais encore en France”. Sur le coup, évidemment, j’avais donné mille et une raisons, cependant pour une fois, aucune ne m’avait moi-même convaincue. Je suis rentrée le soir même. Durant mon long vol de nuit, j’ai repensé encore et encore à notre conversation, sa question me hantait. C’était une des rares fois où je ne me suis pas endormie dans l’avion. A mon arrivée à Paris, j’étais exténuée, mais j’avais enfin trouvé une réponse à cette question. J’ai pris mon taxi direction Marne La Vallée, comme je l’ai fait des centaines de fois. Mais cette fois-là était bien différente. Je n’étais plus la même. Je suis arrivée chez moi, j’ai posé mes bagages dans l’entrée et pendant que mon mari descendait l’escalier, je lui ai lancé “Chéri, il est temps de rentrer chez nous !”. Il m’a regardé avec un sourire en coin, en se disant surement que c’était ma nouvelle lubie du moment mais en réalité je n’avais jamais été aussi sérieuse.
Quitter notre vie confortable en France où nous avions le sentiment d’avoir tout réussi, n’était pas chose aisée. Cependant, chaque fois que je revenais d’Afrique et plus particulièrement du Sénégal, quelque chose se brisait en moi. Cette décision semblait sortie de nulle part mais en même temps c’était le fruit d’une longue réflexion que nous avions entamée des années plus tôt. Nous étions déjà partis en expatriation au Cameroun. Nous avions failli partir nous installer en Afrique du Sud; rentrer au Sénégal c’était plus que logique et cohérent. Il y avait tellement plus de choses à y faire. La France avait atteint cette maturité ou l’on pensait les choses impossibles à changer. Chez nous c'était encore un Far West furieux et bouillonnant; pour faire partie de l’aventure, il fallait être parmi les premiers cow boys. Comme j’avais l’habitude de le dire à mes collègues “ Nous n’allions pas changer la vie des africains en restant dans notre tour dorée parisienne, il fallait être sur le terrain”. La conversation avec mon amie, n’en avait été que le déclencheur final.
Les semaines qui ont suivi ont été aussi folles que celles qui avaient précédées mon départ pour la France. Seulement cette fois-ci je n’étais pas seule dans l’histoire : j’embarquais toute la famille avec moi. J’ai renoncé à un CDI avec 13 ans d’ancienneté sans y réfléchir. Mon entreprise avait accepté de me faire un contrat de consultant à la place. J’étais contente d’entamer ce premier chapitre de ma nouvelle vie, avec le confort de n’avoir pas eu de changement majeur au niveau professionnel. J’étais certes dans une situation délicate, car mon contrat pouvait se terminait à n’importe quel moment, mais 5 ans après, si c’était à refaire, j’aurai fait le même choix.
Je revenais au bercail avec toute ma famille pour y écrire un nouveau chapitre de ma vie : mon cahier d’un retour au pays natal10.
Mon conseil de maman : Savoir abandonner pour renaitre. Ou que l’on aille, quoi que l’on fasse, on sera toujours plus utile en Afrique. “Jom mooy dém, waayé foula moy gnibissi. Le courage de partir, la force de revenir. Partir pour grandir et revenir pour bâtir.” Daara J Family, Sénégal,
Aboubakri II empereur mandingue (1310 à 1312). Il aurait lancé 2 expéditions maritimes pour aller voir « ce qu'il y avait de l'autre côté de la grande mare ». A la tête de la seconde, il n’en serait jamais revenu. D’aucuns ont affirmé qu'il serait arrivé en Amérique avant Christophe Colomb.
Série C : série scientifique avec comme dominantes les mathématiques et la physique-chimie, Equivalent de la série S1 actuellement.
DEUG ou Diplôme d’Études Universitaires Générales qui sanctionnait la fin du premier cycle universitaires donc un BAC+2.
SSII Société de services et d'ingénierie en informatique est une société experte dans le domaine des nouvelles technologies et de l’informatique.
Le fameux changement de statut qui traumatise tous les étudiants étrangers en France en fin de parcours. Il faut être sponsorisé par une entreprise qui doit suivre un long processus pour faire aboutir la demande.
Unstructured Supplementary Service Data (USSD, en français « Service supplémentaire pour données non structurées ») est une fonctionnalité des réseaux mobiles GSM voir lussd-ou-le-secret-le-mieux-gard
Le Petit Poucet, Charles Perrault, il sème des cailloux blancs pour retrouver son chemin quand son père les emmène au cœur de la forêt et les abandonne ses frères et lui.
Cahier d'un retour au pays natal est une œuvre poétique d'Aimé Césaire publiée en 1939.
Merci d'avoir partagé avec nous cette quête perpétuelle de soi et quête professionnelle. J'en tire beacoup de leçons de vie. Ton parcours force le respect et est une belle source d'inspiration et de motivation. J'ai lu cette belle histoire captivante d'un trait et vivement ton1er livre. Je l'attends avec impatience