2002-2022 : D'une génération de légende à une autre
ou comment le Sénégal a décroché sa première étoile à la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) 2022
31 Mai 2002 - I believe in miracles!!
Je suis jeune stagiaire dans une SSII française. Je me revois encore assise dans la salle de réunion dans laquelle se projetait le match, remplie à ras bord. Sénégal-France ou David contre Goliath. Les rares collègues avec qui je déjeune et qui savent que je suis sénégalaise m’ont chambré pendant toute la matinée. Me voilà anxieuse, priant silencieusement, seule représentante du continent noir, même pas un métis dans la salle, pour me soutenir moralement ou avoir de la compassion. N’osant croire à un miracle face à la France, championne du monde en titre, je prie pour un match nul ou au pire un 1-0. C’est enfin le coup d’envoi. Je découvre agréablement une équipe du Sénégal vaillante, combative, de vrais lions. Je me sens un peu ragaillardie, moins crispée ; il n’y aura pas la débâcle que l’histoire avait déjà retenue. Trentième (30e) minute, je vois un jeune nommé Pape Bouba Diop, se jouer de la défense française et mettre le but dans les filets de Barthez. Incroyable. Quel exploit ! Dans un silence de cathédrale assourdissant, je me vois pousser un cri de joie à réveiller les morts et sauter de ma chaise pour un Ndawrabine* rapide. Les regards surpris puis assassins vers moi m’ont fait me rassoir doucement. Je n’arrive plus à respirer, je suffoque presque, cette émotion est si intense, si insoutenable !! Est-ce possible ? Je me vois littéralement sortir de mon corps et flotter dans la salle. On y entendrait une mouche voler. Je vois les visages incrédules, fermés, crispés. Ils ne comprennent pas. Ils viennent de recevoir un coup de massue. Certains doivent surement se demander encore ce qui se passe. Les quinze minutes qui suivent sont interminables pour eux. Comment ? Les champions du monde n’arrivent pas à remonter au score ? L’arbitre siffle la mi-temps. Toujours 1-0 pour le Sénégal. Je réintègre mon corps et illico presto file aux toilettes enfiler le maillot que j’avais gardé jalousement dans mon sac. Libérée, délivrée. Advienne que pourra. Même si on perd ce match, je venais de vivre un moment indescriptible. Me revoilà, assise en salle de réunion, sereine, armée de mon plus beau sourire et arborant fièrement mon maillot négocié âprement à Sandaga pour la deuxième mi-temps. Je me paie même le luxe de grignoter chips et cacahuètes laissés à l’abandon sur la table. Personne n’y avait touché, les coeurs étaient trop meurtris. Ils étaient au bord de l’apoplexie. A la fin du match, je jubile dans les couloirs, avec mon joli maillot contrefait de l’équipe du Sénégal sous les regards médusés puis courroucés et enfin énervés de mes collègues. Certains ont claqué la porte de leurs bureaux et ne m’ont plus jamais adressé la parole. Je venais fièrement pavoiser tel un paon, à la machine à café, le matin, en disant à qui voulait bien l’entendre “ le Sénégal vous salut”. Oui, l’art de la provocation. Mais c’était tellement jouissif de prendre ma revanche après des semaines de quolibets et de moqueries en tous genres. On dit que le football a remplacé la guerre dans notre siècle !! Il y a bien eu un avant et un après 31 mai 2002. Pendant tout le mondial, j’ai vécu à distance cet engouement autour des lions de la génération 2002. Je n’avais ni Facebook, ni Twitter, ni Tik Tok, ni YouTube, encore moins WhatsApp; les appels longue distance restaient extrêmement chers mais j’avais Seneweb et les mails pour entrevoir ce qui pouvait se passer au pays. Après le huitième de finale contre la Suède, il était temps d’aller faire exploser notre joie à la face du monde sur les Champs Elysées, comme tout bon supporter qui se respecte. La joie fut de courte durée, hélas, les rancoeurs ont la peau tenace : nous avons vite été refoulés par la police française ; d’autres compatriotes bloqués dans le métro parisien. Mais qu’importe, nous avions savouré intensément chaque minute de cette épopée magistrale, même à plus de cinq mille (5000) kilomètres.
6 février 2022 - La première étoile
Des larmes de joie coulent sur mon visage quand le tir de Sadio Mané sacre le Sénégal Champion d’Afrique, pour la première fois. A cet instant précis, j’ai pensé à mes parents. Mon père était un fan de foot de la première heure. Petite, je regardais avec lui “Football en Allemagne”, le samedi après-midi, à la télé sénégalaise ; un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre. Les équipes de la Bundesliga, n’avaient alors aucun secret pour moi. C’était aussi un fervent supporter des lions. Là où il était, il avait surement suivi le match et il devait être heureux. Il l’avait aussi tant attendu et tant espéré ce sacre. Et ma mère dans tout ça ? Un petit bout de femme, pleine d’énergie qui aimait le foot au point de faire un Sit-in chez une voisine pour regarder les matchs de la coupe du monde 1994 alors que notre télévision était tombée en panne. Je la vois encore exulter lorsque le Brésil gagne la finale contre l’Italie, eh oui une fan incontestable de la Selecao. En 2002 elle s’est autoproclamée Maman de Elhadji Diouf !! Vous imaginez la joie qu’elle aurait éprouvée ?
C’est un sentiment bien étrange. Je ne l’avais plus ressenti depuis 2002. Cette fierté qui vous bombe le torse ; ces étoiles dans les yeux ; cette plénitude qui remplace la faim et la soif ; les dernières secondes de la finale que vous revivez inlassablement ! A la demi-finale déjà, j’avais voulu que mes enfants ressentent cette liesse qui suit la fin des matchs victorieux. Nous étions au Monument de la Renaissance Africaine, noir de monde ; tout un symbole. Nous avions retenu notre souffle à la première mi-temps ; sauté comme un seul être à chaque occasion des lions et la fin de match avait été incroyable, indescriptible. Nous étions déjà si fiers d’être en finale. Et nous sommes maintenant les champions. Moi qui avait raté la fête en tant d’occasions, je me devais de me rattraper !! Le jubilé incroyable dans les rues de Dakar, la fête sur l’Avenue de la République qui mène au Palais. Mon coeur avait déjà explosé en une myriade d’étincelles !! Je regardais mes enfants, nés loin du Senegal, si heureux, si fiers d’être Sénégalais, à leur place tout simplement. La fête a été incroyable, personne ne voulait rentrer. Nous voulions attendre les lions, nos Gaindés devant les grilles du Palais jusqu’aux lueurs de l’aube, jusqu’à ce qu’ils foulent enfin la terre rouge de leurs ancêtres. Et toute cette foule qui a accompagné les lions victorieux et la coupe à travers les rues de Dakar le lendemain ? Inimaginable. Bien sur que j’y étais, je voulais faire partie de l’Histoire.
Un cours magistral
Qui peut parler du football sénégalais sans parler de Ablaye Diaw dit Laye Diaw ? Journaliste sportif mythique, commentateur hors pair. Avec lui au micro, on pouvait suivre un match de foot à la radio et vibrer à chaque tir tellement il vivait intensément les rencontres. Hier, il a fait un cours magistral à la cérémonie de décoration des lions, pour expliquer pourquoi leur parcours devait inexorablement les mener à cette victoire. Une vraie encyclopédie !! J’y ai appris que lors des jeux de l’amitié organisés à Dakar en 1963, l'équipe de football du Sénégal, menée par Raoul Diagne (fils de Blaise Diagne), a battu la France (qui terminera troisième) 2-0 en demi-finale avant de s'imposer face à la Tunisie en finale. A l’époque, la France participait aux jeux ; De Gaulle ne voulait pas lâcher “ses africains” dans la nature, car disait-il “qui ne pouvait fabriquer une aiguille et une boîte d’allumettes, ne pouvait accéder à l’indépendance”. Le Sénégal avait rejoint tardivement la CAF (Confédération Africaine de Football), n’avait participé qu’à seize éditions de la CAN et en avait remporté la trente troisième (33e). Nous attendons avec impatience ses mémoires ! Il faut absolument qu’il laisse à la postérité tous les moments savoureux de son phénoménal parcours.
De l'importance d'un bon casting
Hier matin, encore groggy par toutes ces émotions, je suis tombée sur une vidéo de Abdoul Diallo, un des défenseurs de l’équipe nationale, dont désormais le nom est gravé dans la terre rouge des lions du Sénégal. Je l’ai entendu raconter comment sa non-sélection en équipe de France l’avait conduit en équipe du Sénégal. Il était déjà mon coup de coeur dans ce nouveau crû, je ne l’en ai que plus admiré. Cette vidéo m’a bouleversée et je me suis dit qu’il n’y avait pas de hasard. Au-delà des compétences intrinsèques des joueurs, il y avait des histoires personnelles touchantes et une envie viscérale de se donner pour la mère patrie même si elle n’était que celle de ses parents pour les binationaux. Il y a déjà à la tête de cette équipe, un coach admirable, qui sans bruit a fait son petit bonhomme de chemin, stoïque face aux critiques. Touché personnellement par le naufrage du Joola, il a cette force tranquille que l’on envie aux grands hommes. Malheureux auteur d’un penalty raté en finale de CAN 2002, en tant que capitaine des lions, il avait juré que s’il ne gagnait pas la coupe en tant que joueur, il allait la gagner en tant que coach. L’ivresse de la victoire, même inachevée, il y avait pourtant déjà gouté en tant que joueur et il avait envie d’emmener son équipe caresser les étoiles et en décrocher une. C’est désormais chose faite. Si je devais demain donner un cours de leadership, je pense bien que je parlerai de “El-Tactico***”. Et tous ces talentueux garçons de la sélection !! Ils ont tous de belles histoires mais je n’en retiendrai qu’un. Tous ceux qui aiment le foot, par le monde, connaissent Sadio Mané, le Sénégalais des Reds de Liverpool. Depuis des années, pour expliquer où se trouve le Sénégal, je me contente de parler de lui et cela suffit amplement. L’on apprend que lorsqu’il était à l’hôpital de Bafoussam pour un scanner suite a sa commotion pendant le match contre le Cap-Vert, il avait par la même occasion, sauvé la vie d’un petit garçon dont les parents trop démunis n’avaient pas de quoi payer les frais d’hospitalisation. Sadio c’était aussi ça, le coeur sur la main toujours prêt à aider son prochain. Il était déjà notre Ambassadeur, il est devenu notre Héros en envoyant son ballon tel un boulet de canon dans le but égyptien. Je me demande encore dans quel état d’esprit il a tiré ce dernier but, que devait-il bien pensé ? Seul au monde, son destin au bout de ses crampons !! Une vraie leçon de vie : ne jamais se laisser démoraliser même par un premier échec !! Toujours avoir le courage de remettre le pied à l’étrier. Amis Startupeurs, gardez en mémoire l’attitude héroïque de notre magicien aux pieds d’or et surtout apprenez à faire un bon casting, il semble que ce soit le secret de la réussite !!
Gaindé Ndiaye Mbara Wacc****!!!
Et moi, vous ai-je déjà dit que Ndiaye est mon patronyme et le Gaindé mon totem ???
*Ndawrabine : une danse traditionnelle sénégalaise
**Gaindé : lion en wolof
***El Tactico : surnom donné à Aliou Cissé, Sélectionneur de l’équipe Sénégalaise de football depuis 2015
****Le totem de la famille Ndiaye est le lion, symbole de la royauté et du pouvoir dans la mythologie Sénégalaise.