Il était une fois Leuk*…
Connaissez-vous Leuk ? Ce fieffé lièvre de la savane conté par Senghor et Sadji et censé nous apprendre le bien et le mal au travers de ses aventures. Oui chers amis, avant Kirikou et Karaba il y avait Leuk-le-lièvre et Bouki-la-hyène. Leuk serait notre Arsène Lupin à nous, un peu voleur, un peu menteur, rusé à souhait, sachant se sortir de toutes les situations grâce à son intelligence et à son bagou !! Quand j'ai commencé à faire la lecture à ma fille, toute petite à l'époque, tout de suite j'ai pensé qu’à côté des Contes de Perrault devait absolument figurer La belle histoire de Leuk. La culture se transmet aussi par les contes qui construisent l'imaginaire, dit-on. A l’époque je n’avais gardé de ses cocasses aventures, que le souvenir d’un conte philosophique, un roman scolaire ludique et trépidant, une odyssée à travers la savane africaine. Et c’était surtout pour moi le moyen de donner une place de choix à ma culture sénégalaise dans la construction de ma fille née dans un pays qui n’était pas mien. J’ai appris plus tard que c’était un vrai ouvrage militant en réaction à la politique de la table rase culturelle assenée par le colon.
Noces de Froment
Commençons par un petit état des lieux. Je suis au Sénégal depuis 3 ans déjà !! Qui l'eut cru ?? Mon frère avait soutenu que je ne tiendrai pas 6 mois ; quand sur le chemin de l'aéroport, je lui avais annoncé que je revenais vivre au pays par une chaude soirée de juillet 2018 !! Je me souviens encore de notre conversation pendant laquelle il m‘a énuméré les mille et une raisons pour lesquelles je ne pourrai pas rester, surtout il m’a longuement parlé de ces door-kat qui avaient fait du pays leur bastion. D’après lui pour déjouer leur plan, il me fallait être aguerrie et rompue à un exercice de haut vol, la sournoiserie et la patience, ce qui était loin d’être mon fort. Il avait raison sur une chose, à chaque étape, je découvre une nouvelle facette de ce pays qui ne cessera donc jamais de m’étonner.
Des termes de références pour acheter un stylo
Le Sénégal est un pays fascinant et bourré de paradoxes. Quant on s’intéresse de près aux sénégalais, on remarquera qu’il y a d’abord cette majorité travailleuse, le gros de la troupe, qui se lève aux aurores et s’échine jusqu’au sang pour trouver une maigre pitance de subsistance. Il y a ensuite les autres, toutes classes confondues.
D’abord la caste des intellectuels, qui pour justifier leurs longues années d'étude veulent absolument appliquer les méthodologies des grandes organisations à tout, au moindre petit projet. Pour acheter un stylo, on commence par un séminaire de 2 jours à Saly ou à la Somone, en conclave, pour écrire les termes de référence ou TDR, puis on passe 15 jours à rédiger les-dit TDR ! J’avais passé plusieurs années de vie professionnelle dans le privé sans jamais avoir entendu parler de termes de référence. J'ai découvert que dans mon pays, on aime passer du temps à cogiter sur des problématiques, puis à faire des beaux et savants rapports archivés en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Le pragmatisme est aux oubliettes. “Cogito ergo sum”, disait Descartes.
Puis il y a la caste des touche-à-tout, ceux qui excellent dans l'art du négoce, eux ne croient qu'au commerce et à comment faire fructifier leurs avoirs. Ils peuvent être de redoutables business men ou women et s’enlisent jusqu’à la lie dans l’informel qui leur permet d’échapper aux radars du fisc. Malheureusement leurs entreprises restent familiales et souvent une fois qu’ils ne sont plus de ce monde, l’empire s’écroule.
L’ère du Door-kat
Et à côté de tout ce petit monde, j'ai découvert la caste des Leuk ou des Door-kat*** comme on les appelle communément en wolof, ceux qui pensent que la ruse et la roublardise sont les seules armes et que donc tous les coups sont permis tant qu'on ne se fait pas prendre. Et cette nouvelle caste a gangrené la société et a pris des proportions gigantesques. Il paraît que tout a basculé quand un ancien président a montré au sénégalais lambda que chacun avait un prix, il fallait simplement y mettre le bon chiffre. Ceux qui ont vécu cette période de l’intérieur soutiennent mordicus qu’à partir de ce moment, les gens ont commencé à réfléchir à comment gagner de l'argent sans se fatiguer ou en prenant un ascenseur moins conventionnel, un raccourci en somme mais surtout en s’asseyant allègrement sur leur éthique. Je n’y étais pas mais il doit bien y avoir un fond de vérité car j’ai bien senti un profond changement de mentalité à mon retour, une vraie mutation même.
Des Leuk il y en a tous les niveaux, à tous les étages :
Le Serigne**** mafieux qui lâche dans les rues ses hordes de talibés*****, pensant plus au versement journalier qu’ils rapporteront le soir qu’à leur apprendre une seule sourate du coran ;
le mendiant absolument valide qui se fait passer pour un handicapé sur fauteuil roulant ;
Le boutiquier qui mélange son lait en poudre à de la farine pour faire plus de bénéfices; l’épicier qui éteint son frigo à heures régulières pour économiser sur le coût de l'électricité au détriment de la chaine du froid pour les produits frais et congelés ;
Le constructeur qui achète du fer de mauvaise qualité pour rogner sur ses coûts négligeant la sécurité du bâtiment ; l’ouvrier du bâtiment indélicat qui subtilise du matériel sur ses chantiers en accusant d’autres de vol ; le menuisier qui emprunte les chemins de l’émigration clandestine en utilisant l’argent de l’acompte donné pour une grosse commande ;
Le maire d’une petite communauté rurale qui vend des terrains et refuse de délivrer les papiers aux acquéreurs une fois l’argent encaissé en donnant des prétextes tous aussi fallacieux les uns que les autres ; les terrains vendus plusieurs fois de suite à plusieurs personnes différentes ;
Les faux policiers qui pullulent sur les routes ; le policier qui réclame l’argent du thé avec un grand sourire quand il n’a trouvé aucune infraction ; les agents du contrôle technique qui délivrent une attestation à une voiture qui ne démarre plus et qui a été poussée pour atteindre le parking dudit contrôle ;
Les faux médecins qui ouvrent des cliniques, qui ont pignon sur rue et font même des tests Covid-19 ;
Les journalistes corrompus et complaisants qui font des articles ou des reportages truffés de contre-vérités dans le but d’offrir une nouvelle virginité à des personnalités ou des célébrités ;
Les députés qui épousent des femmes à la pelle pour un trafic de passeports diplomatiques ; les députés pris en flagrant délit de trafic de faux billets et qui assiègent les médias criant au complot ;
Les activistes qui usent de leur influence pour trouver des visas à vendre sous le coude ; les autres qui retournent leurs vestes pour voitures et maisons ;
Les faux génies de la tech qui se prennent pour Elon Musk, ne savent pas développer une seule ligne de code correcte et dont le seul fait d’arme est d’avoir lancé un hashtag sur les réseaux sociaux ; les pseudos incubateurs qui n’ont lancé aucune Startup viable mais qui occupent l’espace médiatique et accaparent les financements ; et j’en passe.
Et je pourrai écrire des milliers de lignes encore sur les stratégies de nos Leuk nationaux !! Oui, nous avons de véritables champions en la matière.
Mais où est passé Bouki ??
A côté de Leuk il y a toujours un personnage naïf appelé Bouki, une hyène qui se fait toujours avoir, qui tombe à pieds joints dans tous les pièges de Leuk. Qui est Bouki dans cette farce grandeur nature ?
Je commencerai par le peuple sénégalais impuissant qui s’époumone en indignations au gré des scandales et voit l’image de son pays se ternir un peu plus chaque jour dans ce monde globalisé.
Bouki c’est également le Sénégalais de la diaspora qui se fait toujours avoir dans tous les sens du terme. Il aura beau épargner et rapatrier ce magot durement gagné à la sueur de son front, il aura toujours l’amère déception de voir son argent partir en fumée, en futilités et gaspillages en tout genre.
Et enfin Bouki c’est moi, la repat, éperdument amoureuse de ce pays, qui naïvement a cru que mon énergie et ma bonne volonté suffiraient à me défaire de Leuk, du door-kat.
Au royaume de Ndoumbelane
Malheureusement dans notre Ndoumbelane****** à nous, il n'y a pas d’Oncle Gainde-le-lion qui assure une justice équitable ; dans notre Ndoumbelane, Gainde est égal à lui-même, immuable depuis 1960; malgré les changements de régime, il est partisan et a instrumentalisé la justice à des fins politiques.
Et d’ailleurs, dans notre Ndoumbelane à nous, Gainde ne serait-il pas une mutation génétique de Leuk ?
Au pays de Leuk-le-lièvre!!!
Laisse tranquille nos genies de la tech!
A quoi bon s echiner a developper, creer des boites, se prendre la tete avec clients et distributeurs sous ce soleil de plomb?
Mieux vaut incuber des "poussins" qui ne sortiront jamais du nid, creer du buzz avec du jargon savant et se prendre pour un angel investor voire un mentor de startups. Il suffit de citer steve jobs a gauche, elon.musk a droite et le tour est joue.
This is Africa! disent cyniquement les sud africains.
J'adore très belle plume 😍🥰 et l'imagination est très originale !