Ne me souhaitez pas « Bonne fête du 8 mars « !! Agissez !!
Le 8 mars ne devrait pas être que fêtes et célébrations en tous genres. Ce n’est pas simplement un moment où, nous femmes, devons rappeler au monde notre existence. Moment que nos hommes : frères, époux, amis, collègues, saisiraient au vol pour nous jeter quelques fleurs le temps infime d’une journée avant de retourner à des préoccupations plus sérieuses.
Ce devrait être un moment où nous arrêtons notre course folle, pour faire un bilan, mesurer le chemin parcouru mais également et surtout réfléchir à toutes ces batailles qui nous restent à mener. Nous n’avons certainement pas le droit de faire moins que la génération de nos mères !!! Nous avons encore de nombreux défis à relever.
Le 14 mars dernier, SenStartup, une association dont je fais partie, en partenariat avec le GIE de femmes Beug Lou Baax a organisé pour la première fois un événement pour la journée de la femme. Cette journée du 14 mars a été l’occasion rêvée de bâtir un pont entre des mondes qui se côtoient rarement : les startups et le monde politique et informel, représentant une part importante de l’activité économique au Sénégal.
Pour mesurer le chemin parcouru, nous avons voulu nous pencher sur le parcours de femmes remarquables et pionnières chacune dans son domaine. Lors de deux panels et d’une session de partages d’expérience, nous avons exploré le monde des femmes dans sa diversité.
La parité ne doit pas vous reléguer au rang de plantes décoratives.
Nous n’entendons pas assez la voix des femmes au Sénégal, donc nous avons d’abord braqué nos projecteurs sur deux femmes émérites avec des trajectoires similaires quant à leur engagement publique. D’abord avec Elene Tine et Anne Cécile Coly : l’une est une femme politique, l’autre une syndicaliste. Elene nous dit avoir rejoint la politique par hasard car rien ne l’y prédestinait, elle s’est distinguée dans le landerneau politique par sa combativité. Anne-Cécile, elle, a réussi en tant que jeune et femme à se faire une place et un nom dans le monde syndical, ô combien conservateur et dominé par des hommes d’âge mur. Toutes deux nous ont décortiqué les soubassements qui limitent l’accès des femmes dans les instances de décisions encore à ce jour. Même avec des lois avant-gardistes comme la parité sur les listes électorales législatives et locales, appliquées au forceps, certains aimeraient que les femmes restent décoratives ou aux mieux cantonnées à des rôles subalternes. A toutes deux nous avons offert de remonter le temps pour prodiguer des conseils à leur MOI de 20 ans. Toutes deux se diraient d’y réfléchir à deux fois avant de s’engager tellement les sacrifices ont été grands. Mais elles nous l’ont dit, malgré les adversités, les pressions familiales et les tentatives d’instrumentalisation et de manipulation, les femmes doivent s’engager car les choses ne peuvent être changées qu’en siégeant à la table des négociations. Leur seul point de vigilance reste l’indépendance !!! Ne pas être pris en otage par un parti politique ou un syndicat reste le moyen le plus sûr de faire entendre sa voix légitimement.
Les femmes d’abord
Après la politique et le syndicalisme, place à l’entreprenariat qui reste notre sujet. Dans un contexte sénégalais, qui compte plus de 82% d’entreprises individuelles, les femmes sont très impliquées dans l’économie. En 2017 l’entreprenariat et le leadership féminins ont contribué à la création de valeur ajoutée à hauteur de 22,1% du PIB du Sénégal. C’est donc dire que le rôle des femmes est loin d’être négligeable. Elles assurent par ailleurs 90% des tâches ménagères et 85% des travaux agricoles. Le taux de chômage des femmes ne les épargne pas, il est également beaucoup plus élevé que celui des hommes. C’est d’ailleurs parti de ce constat, et pour booster l’entreprenariat inclusif des femmes et des jeunes que la Délégation Générale à l'Entreprenariat Rapide des Femmes et des Jeunes - DER/FJ a été créée.
Pour parler de ce thème passionnant et comprendre les leviers utilisés, des femmes dévouées qui ont décidé de mettre leur expérience et leur réseau au service d’autres femmes ont accepté de participer à notre 2e panel. Nous avons reçu Ngoné Ndoye, qui avec une solide expérience en politique (ancienne maire, ancienne ministre, et ancienne Sénatrice, elle aurait d’ailleurs pu faire aussi partie de notre premier panel ), est la Présidente Fondatrice de FEMIDEC (Femmes, Enfants, Migrations et Développement Communautaire) et encadre des femmes au sein d’un GIE. Sa co-panéliste Yacine Dia a lancé en 2017 la plateforme FENTA anciennement Ma Féminité dont la mission est d'aider les femmes à créer et à développer des entreprises innovantes et à forte valeur ajoutée. A ce jour ce cabinet de conseil et d'accompagnement avec en son sein un réseau de femmes entrepreneures a impacté plus de 10000 femmes dont 1000 ont été formées et coachées.
Elles ont mis en évidence l'importance cruciale de l'autonomisation des femmes et de l'inclusion en tant qu'éléments clés pour développer les chaînes de valeur, notamment en favorisant la convergence entre les secteurs informel et formel. Cependant, l'autonomisation des femmes ne peut être pleinement abordée sans considérer l'éducation, qui demeure l'un des piliers fondamentaux, ainsi que les motivations individuelles. Chaque entrepreneure est motivée par des facteurs uniques, et il est essentiel de les identifier et de les soutenir. Le développement des compétences entrepreneuriales, l'importance des réseaux de soutien et l'accès à l'information ont été identifiés comme des éléments clés pour renforcer les capacités des femmes entrepreneures. De plus, l'adaptation des solutions au contexte local et la formalisation des entreprises ont été soulignées comme des stratégies essentielles pour encourager la croissance et la durabilité. L'accompagnement des femmes entrepreneures doit être inclusif et tenir compte de leur environnement familial. Quant à la diaspora, elle pourrait jouer un rôle catalyseur significatif dans le domaine de l'investissement.
Racontez-moi votre parcours, je vous dirai qui vous êtes
Notre culture sénégalaise aime nous cacher tels des joyaux précieux et surtout éviter de nous mettre en lumière. Et pourtant, quand nous prenons la parole, c’est une révélation. Avec la session de partage d’expérience, j’ai aimé écouter ces femmes nous conter leur parcours : pour nous inspirer et nous dire, vous en êtes capables aussi.
Isseu Diop Sakho est la promotrice de Mburu, une marque africaine de boulangerie spécialisée dans la commercialisation de produits à base de céréales locales. Au travers de son parcours, elle nous a raconté comment sa passion pour la boulangerie a pris le pas sur sa vie trépidante de cadre dirigeant dans l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, tout en valorisant les produits du terroir sénégalais, Mburu se distingue par son engagement à promouvoir l’entrepreneuriat féminin en permettant aux acteurs locaux, spécialement les femmes productrices, de sécuriser leurs revenus et en s’appuyant sur un réseau de femmes « Linguères » pour la commercialisation de ses produits.
Aasiya Gaye quant à elle a travaillé 15 ans dans l’industrie automobile tout en menant une expérimentation en France pour y implanter un supermarché de produits africains notamment sénégalais. Elle a finalement jeté l’éponge car elle sentait qu’en amont il y avait encore beaucoup de travail à mener sur les produits. Elle est revenue au Sénégal avec le projet d’ouvrir sa propre usine puis a finalement travaillé sur la mise en place des agropoles et la structuration des chaines de valeur à la DER. Elle a lancé Asal & Partners, un cabinet de conseil qui accompagne le secteur privé dans la structuration de projets industriels.
Yayi Bayam Diouf, Présidente du Collectif des femmes pour la lutte contre l’immigration clandestine au Sénégal, dirige un centre de formation pour les pêcheuses dans le village de Thiaroye-sur-Mer, près de Dakar. Grâce à sa participation à plusieurs formations sur l’entrepreneuriat, Yayi Bayam a brisé le plafond de verre et est devenue la première femme pêcheuse de son village, dans un univers exclusivement masculin et plus que conservateur. Elle a ensuite aidé d’autres femmes à sécuriser un moyen de subsistance à travers la pêche durable et la pisciculture.
Bâtir des ponts entre plusieurs mondes
C’était le maitre mot de cette journée. En modérant ces deux panels et en passant la journée avec toutes ces femmes dont le leadership n’est plus à démontrer, j’ai réalisé qu’il y avait là tous les ingrédients pour monter une belle mayonnaise : leadership, femmes, autonomisation.
Nous nous sommes quittées avec le sentiment commun que la solution était d’abattre les cloisons des oppositions : entre hommes et femmes, entre startups et secteurs traditionnels, entre secteurs formel et informel. Et surtout nous devions toutes collaborer activement pour mener un plaidoyer efficace en faveur de l'accès des femmes aux instances de décision et de l'autonomisation des femmes, en unissant nos forces pour plus d’impact.