La 5G : Menace ou opportunité pour l'Afrique ?
Avant de devenir une source d'énergie incontournable, l'électricité était source de méfiance lors de son arrivée dans le paysage urbain de la fin du XIXe siècle (Source : https://www.letemps.ch/societe/devenir-incontournable-lelectricite-etait-source-mefiance).
Ceci prouve à quel point les humains sont incapables d'imaginer le futur : Chaque nouveauté est d'abord perçue comme une menace; et même ceux qui y voient une opportunité, ont du mal à anticiper les futurs usages. Aujourd'hui le débat se porte pour la 5G qui est elle-même présentée comme étant à l'origine de la pandémie de la Covid 19 pour certains décroissants extrémistes !!
Mais faisons d'abord un rapide tour d'horizon de l'histoire récente des télécoms telle que je l'ai vécue personnellement.
Du télégraphe à Tik Tok, il s'est passé énormément de choses que le commun des mortels ne soupçonne même pas. Ce qui est remarquable dans la technologie c'est que les inventeurs sont toujours à mille lieux de pouvoir prédire les usages qui en seront faits.
Quand j'ai quitté le Sénégal en 1996 pour poursuivre mes études supérieures en France, le téléphone fixe restait un luxe ! Il y en avait seulement quelques-uns dans mon quartier et leurs détenteurs acceptaient généreusement que leurs maisons soient des cabines téléphoniques pour quiconque voulait recevoir un appel. Par contre, pour appeler il fallait se rendre dans les Télé-centres, un dinosaure qui avec le temps s'est mué en Cyber-cafés et autres Points multi-services.
Dans ma petite résidence universitaire grenobloise, le coup de fil arrivait au standard puis était dispatché suivant le numéro de chambre au bon étage. Le téléphone sonnait alors dans le couloir pour tout l'étage et il fallait ensuite aller chercher l'étudiant(e) en question pour qu'il vienne répondre. Et même à cette époque, dans nos rêves les plus fous, pour nous le must ne pouvait être que d'avoir un téléphone directement dans notre chambre.
Vers la fin des années 90, sont apparus en France les premiers téléphones portables avec des offres prépayées. Quelques rares étudiants arboraient alors fièrement à la ceinture le fameux gros téléphone bleu Itinéris !! La minute d'appels vers les mobiles était alors si chère et hors de portée que je n'ai même pas eu la curiosité de comprendre comment cela marchait.
En Décembre 1999, SFR, le 2e opérateur français de l'époque, en réponse à une offensive de Bouygues Telecoms, le 3e opérateur, lançait une offre promotionnelle qui est restée célèbre dans l’histoire : la fameuse offre Millenium. Le client avait la possibilité de téléphoner gratuitement et à vie le soir entre 20 heures et 8 heures, mais aussi le week-end vers un portable SFR ou un téléphone fixe. Immédiatement, ce fut la ruée. 400 000 personnes souscriront dans la foulée. (Source : Le Parisien). Sur le campus grenoblois, les heureux propriétaires de téléphones avec cette offre ont vu leur nombre d'amis croitre de manière exponentielle !! Leurs chambres étaient devenues de véritables cabines téléphoniques. La légende veut que le responsable marketing SFR se soit vu remercier, lui non plus ne pouvait anticiper l'attrait de cette offre mirifique pour des étudiants sans le sou qui essayaient d'économiser à tout prix.
Enfin en 2000 je me suis laissée tenter par le Nokia 3210 !! Une merveille de technologie en son temps (j'exagère à peine), je venais d'entrer dans le monde des Télécoms. J'ai tout de suite été séduite et je n'ai eu alors de cesse de chercher à rejoindre les équipementiers Télécoms pour y travailler et comprendre comment tout cela s'articulait. Et je n'ai pas été déçue, bien que mes cours de traitement du signal ne m'aient pas vraiment préparer à ce qui allait suivre.
En 2003 j'ai intégré Alcatel puis Nortel Networks en 2004 pour travailler sur l'UMTS (Universal Mobile Telecommunications Service) plus communément appelée la 3G. A l'époque l'innovation en termes de télécoms consistait à envoyer des SMS, tout au plus à passer la nuit au téléphone grâce à l'offre illimitée magique de SFR ! J'étais plus qu'heureuse de rejoindre ces fleurons de l'industrie des Télécoms et je me suis quand même posée la question à quoi pouvait bien servir ce que nous étions en train de faire. Nous même qui étions en train de travailler au cœur de cette technologie qui allait révolutionner nos usages étions très peu conscients de son potentiel. Nous vivions alors l'ère du WAP, que tout le monde voyait comme révolutionnaire mais qui peinait à proposer du contenu. J'oubliais, c'était aussi l'époque de Jean Marie Messier Moi Même Maitre du Monde (J6M), le fameux patron de Vivendi. Je ferai l'impasse sur le GPRS qui malheureusement n'a pas trouvé son public malgré des investissements colossaux de la part des Opérateurs et des fournisseurs de contenus.
Nous étions en train de dessiner les contours d'une révolution sans réellement en comprendre les enjeux. Je me souviens même de la réponse d'un ami quand je lui ai expliqué ce que je faisais " tu devrais trouver un secteur plus utile à la société !" En résumé, nous étions en train de mettre en place une autoroute 4 fois 4 voies qui autorisait les voitures à rouler à plus de 300km/h mais il n'y avait que des calèches tirées par des chevaux qui pouvaient l'emprunter (les Mbourois comprendront). Même si on nous avait parlé de Netflix à l'époque, cela n'aurait pas suffi à nous projeter dans le monde d'après.
Pendant ce temps, à la maison, j'avais un modem 56K et je mettais 2 jours à télécharger des musiques sur Napster, le site de partage de musique.
Puis est arrivé le fameux Blackberry de la firme canadienne RIM. Je ne le voyais que dans les films hollywoodiens aux mains des traders et des jeunes cadres dynamiques, jusqu'au moment où Alcatel a proposé pour le déployer en Afrique. Ah oui, car à l'époque RIM ne pensait pas vraiment que c'était un projet sérieux de déployer une telle technologie en Afrique et préférait sous-traiter le déploiement à Alcatel qui avait déjà ses équipes sur place. Ils ont ensuite largement changé d'avis après le lancement et le succès phénoménal du Blackberry au Nigeria, Kenya et en Afrique du Sud. Puis tous les matins, dans les RER qui déversaient la banlieue au cœur de Paris, je voyais de plus en plus de personnes tapoter sur un clavier Blackberry pour envoyer des mails ! La révolution était en marche. D'aucuns diront que c'était le début de la fin, car désormais il était possible de lire et répondre à ses mails partout et tout le temps.
L’IPhone d'Apple est arrivé en 2007 !! Tout d'un coup, l'autoroute de 4x4 voies venait de trouver son bolide !! Il nous fallait oublier tout ce que nous avions connu avant ! Désormais, nous entrions dans le monde des Apps. Personne ne l'avait anticipé, Apple n'appartenait même pas au monde Télécoms et c'est peut-être pour cela qu'ils ont su créer ce terminal qui venait apporter une disruption dans le monde du mobile en noyant dans son sillage les Nokia, les RIM et autres relégués aux oubliettes. Avec l'arrivée des smartphones et des applications, la 3G puis la 4G ont trouvé tout leur sens. Désormais, la course au contenu le plus innovant était lancée !! C'était autour des OTTs (Viber, WhatsApp et autres) de faire leur irruption dans nos vies. Les opérateurs ont beau se plaindre de ce phénomène, sans les OTTs, l'essor de la data dont ils bénéficient largement aujourd'hui n'aurait pas eu lieu.
Et l'Afrique dans tout ça ?
L'Afrique a pris une branche différente du continuum espace-temps (les fans de Retour vers le futur comprendront la métaphore) !! Concernant les Télécoms, beaucoup de révolutions ne lui sont pas parvenues. Par contre elle a embrayé sur la technologie mobile pour apporter à ses populations le numérique jusque dans les zones rurales les reculées. Facebook, Instagram, YouTube, WhatsApp et Tik-Tok sont aujourd'hui connus de tout un chacun, les gens font du mobile money à longueur de journée et pourtant très peu d'utilisateurs savent réellement ce qui leur permet d'utiliser ces applications devenues communes dans notre quotidien.
La 5G permettra à l'Afrique d'aller encore plus loin. Les réseaux 4G vont être bientôt saturés car la consommation de la data ne cesse d'augmenter. Déployer un réseau 5G c'est s'assurer que plus de zones rurales pourront accéder à l’internet mobile, là où il est quasi impossible ou trop couteuse de déployer de la fibre et que des use cases intéressants autour de capteurs intelligents pour l'agriculture, la pêche et l'élevage viendront au secours des populations qui en vivent. Tech4good, disons-nous dans notre jargon !! Imaginer que la 5G c'est seulement de la vidéo surveillance, des voitures connectées ou de l'espionnage c'est oublier que la Télémédecine est un des formidables use cases qui pourra permettre à des centres de santé de pouvoir aider efficacement leurs populations en se connectant à un vrai médecin en cas d'urgence. C'est également oublier que l'inclusion numérique est un vrai enjeu de développement du continent. L'Afrique à un don pour inventer des usages qui collent aux besoins de ses populations. Comme pour toutes les technologies mobiles précédentes, les africains pourront se l'approprier et l'utiliser à bon escient. Que dire des décroissants, qui croient que la technologie est une menace pour l'homme et que nous devrions tous mettre nos smartphones à la poubelle pour revenir à l'époque de la pêche et de la cueillette ?? Je leur répondrai, que bien que je comprenne les problématiques sur l'environnement qui sont pointées du doigt ; c'est bien parce qu'ils sont nés dans des pays riches dans lesquels tout leur était dû et qu'ils n'ont pas une sœur ou une tante sauvée in extremis d'une mort certaine en accouchant car il a été possible de joindre un médecin au milieu de nulle part. La technologie, c'est encore une fois comme une autoroute ; elle nous change la vie nous permet de rallier des villes et des villages beaucoup plus vite mais il faut être conscient de ses dangers et rouler en respectant les limitations de vitesse.
J'aime beaucoup me référer à une citation de Peter Thiel tiré de son livre Zero to One. En somme il nous dit que l'histoire ne se répète jamais. Le prochain Bill Gates ne construira pas de système d'exploitation. Le prochain Larry Page ou Sergey Brin ne fera pas de moteur de recherche. Et le prochain Mark Zuckerberg ne créera pas de réseau social. Si vous copiez ces personnes, vous n’apprenez pas d’eux. Pour moi une nouvelle technologie engendre toujours sa cohorte de champions, laissons la chance à de nouveaux champions africains d'émerger pour faire l'arbitrage dans la nouvelle guerre froide qui oppose Trump et ses alliés à la Chine.
Alors à moi de vous poser une question : Devons-nous avoir peur des innovations de demain ?